Yoga et douleur : un apprentissage de soi
Vivre avec la douleur change notre rapport au monde. Plutôt que de chercher à la faire taire, le yoga invite à l’écouter, à comprendre ses nuances et à l’apprivoiser. Voici le récit de mon chemin où la pratique est devenue une alliée précieuse face à la spondylarthrite et, plus globalement, une école d’attention à soi.
La douleur, une expérience incarnée
Parfois ponctuelle quand elle est liée à une entorse, une brûlure, une plaie. Parfois persistante quand elle est chronique, elle peut nous « prendre la tête ». La douleur, nous la connaissons tous à divers degrés, elle nous ébranle, entrave notre mobilité et altère notre humeur. Pourtant, difficile d’en prendre la mesure car chacun la vit avec sa propre sensibilité. Elle est une expérience subjective. Longtemps perçue comme un unique signal négatif du corps, elle est aujourd’hui appréhendée comme un phénomène complexe et systémique. La résultante de perceptions à la fois physique, nerveuse, émotionnelle et contextuelle – le vécu – de la personne qui souffre. Cette compréhension a ouvert la voie selon les cas, à des approches complémentaires à la médecine : celles qui apaisent le système nerveux autant que les muscles.
Spondylarthrite : un appel au changement
L’ayant bien côtoyée à cause d’une spondylarthrite ankylosante, une maladie auto-immune, je vous partage mon chemin parcouru avec elle et notre rencontre avec le yoga. La première fois que j’ai entendu ces mots c’était en 2001… un ouragan et une délivrance. Trois ans déjà que ces crises inflammatoires étaient soignées comme des sciatiques. Jusqu’au jour où leurs fréquences et durées me poussèrent dans une croisade solitaire, de spécialiste en spécialiste pour comprendre et apprendre à vivre avec.
Enfin, je comprenais ce qui bouleversait ma vie à chaque crise : douleurs lancinantes dans les sacro-iliaques au point de ne pouvoir m’habiller seule, impuissance devant ma mobilité réduite à celle d’une dame de 90 ans. Le tout, amplifié par la déprime liée à la fatigue et la chute du système immunitaire. Et je réalisais surtout que le moindre pas, le fait d’être autonome était extrêmement précieux.
Quand les traitements m’ont isolée du ressenti
Ankylose : désigne une perte totale ou partielle du mouvement propre à une articulation. C’était la seule information trouvée à l’époque. Une perspective difficile à digérer, comme ma prescription : chaque jour avaler un anti-inflammatoire, un décontractant musculaire et du dextropropoxyphène, « aka » le Di-Antalvic, interdit depuis 2010. Des dosages standards bien supérieurs à ma corpulence qui m’assommaient et me volaient mes sens… j’étais anesthésiée physiquement et mentalement.
Choisir le mouvement plutôt que l’anesthésie
À cet état végétatif, j’ai préféré repousser mon seuil de tolérance à la douleur, défier l’autorité médicale et ses injonctions à vivre sous l’emprise des pilules. J’ai alors choisi la liberté de me mouvoir autant que possible tant que j’en étais capable, avec l’accord préalable de mon rhumatologue. Mais à la seule condition suivante : le mouvement serait mon allié, toute ma vie. Durant quelques années, supporter la douleur intense, obsessionnelle a été mon fardeau et retarder la prise de cette moitié de comprimé, mon dilemme.
Le yoga, une continuité de l’écoute intérieure
Cette rébellion m’a construite, forgée, forcée à être toujours attentive aux signes précurseurs de la crise. J’ai appris à discerner les signaux internes, anticiper la crise et savoir ralentir ou m’arrêter. Vivre avec une maladie auto-immune relève de la connaissance de soi, d’être en parfaite écoute de son corps et de son mental afin d’agir avec justesse… une posture qui vous rappelle sans doute une autre ? Après avoir longtemps pratiqué divers sports, puis la natation et la barre au sol en parallèle, je m’aperçus que seule la pratique du yoga apaisait durablement, le stress étourdissant lié à mon métier de communicante. En parallèle, la conscience subtile de mon corps s’affirmait et se développait. Tout cela a participé à la constance de ma rémission.
Le yoga m’a amenée à transformer ma relation avec la douleur et depuis, je suis allée au-delà de mes capacités physiques initiales.
Relier corps, souffle et système nerveux
Plus généralement, par des asanas doux et progressifs, le yoga aide à relâcher les tensions musculaires et à rééquilibrer la posture, soulageant ainsi de nombreuses douleurs mécaniques (notamment dorsales). La respiration consciente et la méditation convoquent le système nerveux parasympathique, celui qui favorise la détente et la récupération. De fait, cette disponibilité retrouvée nous aide à ne pas anticiper par peur, à calmer cette hypervigilance qui entretient souvent la douleur. Et enfin, un mental plus clair affine notre perception des signes avant-coureurs et favorise l’action à la réaction. Quelle libération !
Effet nocebo et réalité présente : ce que le yoga change
Des études confirment que le yoga peut améliorer la qualité de vie de personnes souffrant de lombalgies chroniques, d’arthrose, de fibromyalgie ou encore de migraines. Les bénéfices viennent autant des mouvements adaptés que de l’attention portée à soi : le simple fait de respirer profondément et de relâcher les tensions module le ressenti.
Cette clarté permet de ressentir ce qui est, et prendre les décisions adéquates. On ne « supprime » pas la douleur, mais on la rend moins envahissante en étant plus en phase avec la réalité. Miroir négatif de l’effet placebo, l’effet nocebo peut, par croyance, engendrer ou accroitre des maux. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à prendre connaissance de l’ étude de 2022 qui en fait état.
Écouter la douleur, écouter la vie
Pratiquer quand la douleur s’est apaisée est l’occasion de redéfinir son rapport à l’effort. Bouger doucement, explorer ses limites avec curiosité, adapter chaque posture. Le yoga n’est pas un traitement médical, mais un complément qui s’inscrit dans une démarche globale de soin. L’accompagnement par un professeur informé, et le dialogue régulier avec son médecin, garantissent une pratique sécurisée. C’est d’ailleurs tout le propos de nos questions en début de cours.
Pourquoi ce récit ? Tout d’abord, pour inviter tous ceux qui souffrent à adopter une démarche proactive face à la douleur. Son intensité modulable et modulée développe nos « antennes internes », l’intéroception et la nociception. Le yoga ne fait pas disparaître la douleur comme par magie, mais il en change l’appréhension. D’ailleurs, le mouvement suscite la libération des endorphines connues pour leurs effets antalgiques naturels.
La douleur cesse alors d’être un ennemi à combattre, juste un signal à accueillir et qui peut avec le temps, ne plus être assourdissant. Évidemment, chaque cause et cas sont uniques. Mon parcours est très personnel. Il ne peut être reproduit sans mesurer les contraintes, les conséquences et la discipline implicites, au quotidien et à long terme.
https://presse.inserm.fr/canal-detox/effet-placebo-effet-nocebo-aucun-effet-vraiment
