Lorsque l’on aborde la question de la pratique du Yoga, d’abord, on a les préjugés, les freins. Nous avons déjà eu l’occasion d’en parler. Mais il y a autre chose. Pour ceux qui ont passé le cap et tenté un cours, une expérience, il y a autre chose qui émerge. Peut-être que ces personnes ne sont pas réfractaires au Yoga mais au contraire, elles ont vu les vraies difficultés du Yoga ? Ce dont on parle ici n’a rien à voir avec la souplesse ou la capacité à se mouvoir. Et si les vraies difficultés du Yoga étaient ailleurs ? Voici quelques pistes de réflexion.
Le but du Yoga
Esprit d’analyse critique, on aime dans nos contrées occidentales ranger dans des boîtes, classer les choses. Il en va de même pour les activités. Puisque le Yoga fait bouger le corps alors on le « range » dans les activités physiques. Alors en découle tout un état d’esprit acquis depuis notre plus tendre enfance avec une sémantique bien rôdée : se dépasser, progresser, avoir un niveau, s’entretenir, se faire violence, tenir, etc. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre « j’ai eu bien mal, c’est que j’ai bien travaillé ». Sauf qu’en réalité, la base du Yoga ce n’est pas l’entretien du corps mais l’arrêt des fluctuations du mental : « chitta vritti nirodha ». C’est parce que vivre fait souffrir que la seule façon de s’en abstraire c’est de pratiquer la méditation. Car pendant très longtemps le Yoga n’était que méditation.
Et si la vraie difficulté du Yoga ne résidait pas dans la réussite d’une posture ? Quelles pourraient alors être ces difficultés ?
Ce qui est le plus dur en Yoga
L’écoute de soi
Il ne s’agit pas uniquement de produire un geste ou un mouvement. Il s’agit d’habiter la posture, de se sentir dans la posture. Concrètement cela signifie activer ses sens, s’interroger, sentir ce qui se passe à l’intérieur (intéroception), choisir une intention, une direction. Le mental est actif, il ne s’agit pas de se laisser mener, car en réalité, la concentration est importante. Et surtout, elle est dirigée vers soi-même. Nul besoin de miroir, mais il faut être prêt à se voir. À se constater tel que l’on est, avec ce qu’on ressent sur le moment. C’est un exercice qui n’est pas facile pour quiconque vient se débarrasser de ses tensions de la journée et qui veut juste se « défouler ». Là au contraire, on va voir et écouter. C’est une façon d’accuser réception de tout ce qui se passe à l’intérieur, pour ensuite laisser le tri se faire puis laisser circuler. Cette introspection n’est pas facile dans un monde d’image où on doit sans cesse paraître parfait.e. Là sur son tapis, la perfection n’existe pas et pour personne ! Il faut être vrai et être prêt à faire la paix avec soi-même. Sans cette écoute, cela ne fonctionne pas.
Les difficultés et l’acceptation
Une fois qu’on a bien vu l’état dans lequel on se trouve, il y a un autre travail à poursuivre : celui de l’acceptation. Le Yoga est moniste et holistique, et à ce titre, il ne considère pas le corps comme une machine qui devrait s’exécuter selon le bon vouloir du cerveau. Non le corps ressent, réfléchit et interagit en permanence avec notre cerveau. Il ne s’agit pas de dompter son corps mais de le guider, de l’accompagner. Alors lorsqu’une professeure propose une posture dans laquelle le corps ne se résout pas à se mettre que faire ? Lutter ? Forcer ? Serrer les dents ? Surtout pas ! Lorsque votre gencive saigne parce que ce matin-là elle est plus sensible, est-ce que vous frottez encore plus fort ? Bien sûr que non. Il faut adapter. Mais avant cela, il faut accepter : accepter que le corps n’obéisse pas, que l’on se sente diminué.e, que l’on se retrouve face à une difficulté. En réalité, réussir une posture c’est quelque part, accepter de ne pas la « réussir », mais de la sentir. On cherche une sensation, un effort personnel, pas une photo.
L’égo à la porte
Évidemment, ce que nous avons dit précédemment va de pair avec l’égo. Toute notre culture de l’activité physique, et même toute notre culture du sport est basée sur l’égo. On est beau ou belle ce qui engendre fierté, dans le cas de l’esthétisme, ou alors on est performant dans le cas de la pratique sportive. Si vous abordez le Yoga avec ce mindset, vous passerez à côté de votre pratique. Et ce n’est pas grave, parfois, cela demande un peu de temps pour intégrer ce concept à la fois mentalement et physiquement. Si vous avez un doute, demandez-vous lorsque vous pratiquez, si vous avez bien laissé l’égo à la porte ? Si vous éprouvez une limite : physique, émotionnelle, mentale, quel en est l’enjeu ? Pourquoi considérer cela comme une difficulté ? Et souvent, on se rend compte qu’on se sent nul.le par rapport au reste du groupe, ou qu’un truc simple nous échappe, ou qu’on voudrait faire mieux, plus, plus grand… et toutes ces attentes nourrissent l’orgueil. Le Yoga c’est aussi prendre ce qui est et ne pas chercher ce qui devrait être. Alors vraiment, essayez de pratiquer une bienveillance totale.
L’humilité face à son propre pouvoir
Les étapes précédentes mènent à un autre point important en Yoga : l’humilité. Chacun d’entre nous est un grain de sable dans un univers qui nous dépasse. La volonté et la ténacité sont des qualités, à condition de savoir sur quels aspects vous les placez. Si c’est dans la réussite d’une posture, vous faites fausse route. Le Yoga n’est pas un entraînement aux sélections pour les JO de gymnastique. Si vous souhaitez amener votre corps vers ces performances alors vous pouvez trouver beaucoup plus efficace que le Yoga pour progresser. Encore une fois, bouger son corps est une bénédiction, un indispensable de la vie quotidienne, respirer encore plus, et, la concentration qui est nécessaire dans la pratique vous plonge dans un autre état. C’est ça qu’on vient chercher dans le Yoga. Se ressourcer en somme. Mais pas changer de corps ou s’imaginer qu’on va avoir le corps de son voisin. On a une marge de manœuvre dans ses propres limites.
La routine, le cheminement
La volonté peut être effectivement une qualité, surtout dans l’assiduité, dans la régularité. Car à n’en pas douter, les obstacles calendaires vont se mettre sur votre route et empêcher votre rendez-vous yogique. Si vous ne vous sentez pas disponible ou un peu rouillé, vous risquez de mettre de côté votre séance en vous disant que vous ne serez pas performant. Eh bien détrompez-vous, c’est justement là qu’il faut être tenace. Non pas pour progresser, mais pour continuer le chemin. On ne se brosse pas les dents 7 fois le dimanche en se disant que ça ira pour toute la semaine. On n’attend pas non plus de se gaver de bonbons pour les laver. Eh bien c’est pareil avec le Yoga : ça doit être doux, respectueux et régulier. Et les limites se lèvent au fur et à mesure justement parce qu’on continue et sans chercher à les combattre. C’est magique !
Vous l’aurez compris les réelles difficultés du Yoga ne résident pas dans les capacités physiques, mais bien dans les dispositions mentales. Et parfois certaines personnes sentent qu’elles ne sont pas prêtes à faire ce travail. C’est finalement l’état d’esprit que l’on travaille par les mouvements du corps. Cette pause sera toujours utile dans votre quotidien. Comme de prendre le temps d’un bon café ou de s’étirer le matin. Chaque jour, on remet l’ouvrage sur le métier.